LA GIRAFE N'EXISTE PAS

(par Jacques Bergier, 1965)

La science contre les mythes

Pour un esprit bien rompu aux méthodes scientifiques modernes, la vraie démonstration de la non-existence de la girafe réside dans le fait que la girafe n'existe pas. Ce genre de raisonnement est appelé « la méthode de Lavoisier » : on sait que le fondateur de la chimie avait démontré de cette façon l'inexistence des météorites en déclarant « qu'il ne peut pas tomber des pierres du ciel, parce qu'il n'y a pas de pierres dans le ciel ».

Dans les temps modernes, cette méthode a été brillamment employée par M. Simon Newcomb qui démontra que les avions ne peuvent pas voler parce qu'un aéronef plus lourd que l'air est impossible et M. Imbert Nergal, qui démontra que les phénomènes parapsychologiques n'existent pas parce qu'il n'y a pas de phénomènes parapsychologiques. D'autres savants ont exercé la même besogne de salubrité, ce qui fait qu'un Américain appelé Charles Fort a pu faire tout un volume, intitulé « Le livre des Damnés », consacré aux faits ainsi expulsés à juste titre du corps de la Science.

Parmi ces faits damnés, la légende de l'animal appelé « girafe » est particulièrement frappante.

Le voyageur arabe Al Kwraismi a, pour la première fois, décrit cette bête mythologique au cou extrêmement allongé. Depuis, de nombreux voyageurs ont prétendu avoir vu ou même photographié des girafes. Et la revue Planète n'a pas hésité, pour abuser ses lecteurs trop confiants, à accréditer ce mythe pernicieux, en dépit des mises en garde du grand savant André Parinaud.

Il est donc intéressant d'examiner comment une telle légende peut avoir pris naissance. Plusieurs explications sont possibles :

1 - L'explication optique :
On sait que les déserts, où l'on a signalé des girafes, sont également les lieux de nombreux mirages. Ces mirages sont dus au phénomène d'inversion. Ce phénomène consiste en ceci : pour des raisons bien connues des météorologistes, il arrive qu'une couche d'air froid se trouve superposée à une couche d'air chaud qui aurait dû se trouver au dessus de la couche d'air froid. La différence de densité des deux couches d'air produit alors une courbure des rayons de lumière et un mirage. Un objet est alors vu à un endroit où il n'est pas, ou sous une forme modifiée. Très fréquemment l'inversion fait apparaître un objet sous une forme allongée comme les miroirs déformants des foires. Il est donc parfaitement admissible qu'un animal tout à fait ordinaire et bien connu, une licorne par exemple, puisse apparaître à l'explorateur sous une forme invraisemblable et allongée et donner ainsi naissance à la légende de la girafe.

2 - L'explication par la soif :
Le mirage qui a donné naissance à la girafe peut également être d'une origine purement psychologique. Perdu dans le désert et assoiffé, l'explorateur peut, dans un état de semi-conscience, rêver qu'il a un cou extrêmement long lui permettant d'atteindre l'oasis la plus proche. Quoi de plus naturel que de le voir aussi imaginer un animal impossible qui a justement le cou d'une longueur invraisemblable ?

3 - L'explication psychanalytique :
Un psychanalyste allemand éminent, Herr Professor Hegebur, dans son ouvrage « Prolégomènes à l'introduction d'une approche de la connaissance de la girafe », fait observer très justement que le long cou de la girafe n'est autre qu'un symbole phallique. C'est là également une explication plausible du mythe de la girafe. On sait que c'est de la même façon qu'on a réfuté la naïve superstition de certains sauvages selon laquelle le suc du champignon penicillium notatum pouvait avoir une action curative sur les maladies. Ce champignon est de toute évidence un symbole phallique. L'existence d'un produit extrait du penicillium notatum appelé « pénicilline » et auquel on attribue des vertus curatives merveilleuses est, bien entendu, pure superstition.

Nous voyons ainsi que le mythe de la girafe peut parfaitement trouver son explication dans des considérations soit optiques, soit de physiologie, soit de psychanalyse.

La méthode scientifique moderne n'aura pas de difficultés à démentir aussi les autres affirmations saugrenues d'excentriques dans le genre de Charles Fort.

Il est bien connu qu'il ne peut pas y avoir de faits qui n'aient été déjà décrits dans les nombreux et excellents ouvrages publiés par l'Union Rationaliste (16, rue de l'école Polytechnique). Tout fait non décrit dans ces ouvrages peut certainement être réduit à des illusions ou à des hallucinations collectives.

Signalons, pour terminer, un fait curieux qui montre à quel point la sagesse populaire rejoint la méthode scientifique. Un fermier américain à qui on avait montré un dessin représentant la prétendue girafe s'est écrié : « Il n'y a pas d'animal comme ça ! » N'est-ce point merveilleux de voir à quel point le gros bon sens populaire rejoint ainsi la rigueur de la méthode scientifique ?




Remarques

Ne voyez dans cette page qu'une analyse ironique du conformisme stérile, de la courte vue, de l'intégrisme pseudo-intellectuel, du mental sclérosé, de la myopie psychologique, du misonéisme, de la mauvaise foi, des préjugés doctrinaires et politiques et de la simple peur animale de l'inconnu des unions rationalistes, heureusement moribondes pour la plupart, étouffées par leur médiocre suffisance de censeurs mineurs.
C'est également un hommage à ces hommes, mandarins mondains et superstitieux à leur manière, englués dans leurs poncifs, coincés entre leurs arrières-pensées et leur pensée arriérée, castrés intellectuellement, illustres par ailleurs, morts sans audace avant que le ridicule ne les achève, moins méchants que paresseux, et qui, par des déclarations fermes ont montré les limites de leur imagination.

Restent les mieux-nommés : les "sceptiques", petits groupes associatifs d'autruches qui brunchent périodiquement en pérorant du fond de leur fosse homonyme, seulement éclairés par leur "brillant obscurantisme" (désolé pour l'oxymoron).
Pour des raisons de salubrité publique, je ne citerai pas ici les farces de nos zozo...ticiens... sophistes pyrrhonistes modernes, leurs tirages étant indécents.

La caractéristique commune et principale fonction des groupuscules évoqués ci-dessus ?
Alors qu'ils se voudraient être des aiguillons, ce ne sont malheureusement, la plupart du temps, que des lénifiants intellectuels dont la fonction dormitive empêche les soubresauts de cerveaux moins figés que les leurs (bilan de leurs réflexions) !
Ces pauvres hères ne sont finalement que des nourrissons qui, encore accrochés au sein rassurant de leur mère, sont terrifiés par la "dure" réalité...
Quel dommage ! S'il est vrai que de nombreux charlatans profite de la naïveté des masses en énonçant des théories ineptes, il n'en demeure pas moins que jeter le bébé avec l'eau sale du bain est toujours regrettable.
Un peu de subtilité messieurs !



C'est aussi ce que nous rappelle Jules Boucher :
"Le rationaliste se refuse à prendre en considération tout ce qui dépasse les bornes de son entendement. Sa conception et sa connaissance du monde risquent, de ce fait, d'être considérablement rétrécies, à la mesure de son intelligence et de son savoir. [...]
Le rationaliste se pique d'être "scientifique" et n'est que "scientiste". [...]
Le rationaliste se fige dans sa conception et il en fait un dogme, il agit ainsi en fanatique, exactement comme les fidèles de n'importe quelle religion, de n'importe quelle Église, pour lesquels il n'existe pas de salut hors des normes théologiques qui leur sont propres."



Et Pauli (Planck ?) avec beaucoup de bon sens :
"La vérité ne triomphe jamais, mais les imbéciles finissent par mourir !"


Bref, rien de nouveau sous le soleil car, au 16ème siècle déjà, Michel de Montaigne notait :
"C'est une sotte présomption d'aller dédaignant et condamnant pour faux ce qui ne nous semble pas vraisemblable."


Quelle plus belle conclusion que cette citation de Chesterton ?
"Eloignez-vous des hommes qui prétendent répondre à toutes les questions. Ce sont des ignorants ou des imbéciles."



Et rappelons-nous que "La pensée vit dans la question et meurt dans la réponse."




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Page créée le 9 Juin 2000